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Incidence professionnelle / Perte de gains : un cumul possible ?

Dans un arrêt en date du 6 mai 2021 (Cass. Civ. 2ème, 6 mai 2021, n°19-23173), ayant eu les honneurs d’une publication au bulletin, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a confirmé la possibilité d’un cumul de réparation au titre des postes d’incidence professionnelle et de perte de gains professionnels futurs en ces termes :

« Pour rejeter la demande d'indemnisation au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt énonce qu'au jour de l'accident, M. [I], qui était âgé de 42 ans et travaillait toujours dans l'entreprise de travaux publics qu'il avait intégrée à l'âge de 24 ans, y occupait, en tant que chef d'équipe, un emploi de mineur-boiseur, que l'accident l'a placé dans l'impossibilité absolue de reprendre une quelconque activité professionnelle et qu'il ne justifie pas, au titre d'un préjudice de carrière, de la perte d'une chance de progression professionnelle et donc de l'existence d'un préjudice distinct de celui déjà indemnisé au titre de la perte de gains professionnels, depuis la date de l'accident jusqu'à la fin de vie.
En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si n'était pas caractérisée l'existence d'un préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail, indemnisable au titre de l'incidence professionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. »

 

L’intérêt d’une telle solution réside surtout dans le fait que le cumul est possible en présence d’une « dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail ».

En effet, la deuxième chambre de la Haute Juridiction avait auparavant considéré que, si le cumul des deux postes de préjudice était possible, il n’en restait pas moins que la réparation du poste d’incidence professionnelle était soumise à l’existence d’une « perte de chance d’une promotion professionnelle » (Cass. Civ. 2ème, 23 mai 2019, n°18-17560).

Il est en tant que de besoin précisé que, dans la seconde espèce, la victime était en mesure de reprendre une activité professionnelle, quoique ce retour sur le marché du travail s’avérait « très aléatoire » alors que, dans la première espèce, la victime est dans l’incapacité totale de retrouver un métier à l’âge de 42 ans.

Toutefois, quand bien même les solutions de ces deux arrêts apparaissent comme favorables aux victimes d’accidents corporels, il paraît prématuré d’y voir une tendance prétorienne bien ancrée eu égard aux arrêts rendus par la deuxième chambre de la Cour de cassation en 2018 et 2019.

Dans un arrêt en date du 7 mars 2019 (Cass. Civ. 2ème, 7 mars 2019, n°17-25855), la Cour de cassation a retenu qu’une très jeune victime (4 mois au moment de l’accident) ne pouvait bénéficier d’une réparation au titre du poste d’incidence professionnelle pour les raisons exposées ci-après :

« Mais attendu qu'après avoir fixé par voie d'estimation la perte de gains professionnels futurs de M. G... R... liée à l'impossibilité d'exercer toute activité professionnelle, la cour d'appel a exactement relevé que la privation de toute activité professionnelle était prise en charge au titre du déficit fonctionnel permanent, lequel inclut la perte de qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, pour en déduire à bon droit qu'il n'y avait pas lieu de retenir l'existence d'une incidence professionnelle distincte de la perte de revenus déjà indemnisée »

Dans ce cas particulier, l’impossibilité d’exercer une activité professionnelle est réparée par l’indemnisation au titre du poste de déficit fonctionnel permanent, d’une part, et de la perte de gains professionnels futurs (« perte de revenus »),d’autre part.

La Cour de cassation avait adopté la même position pour une victime adulte ne pouvant plus exercer d’activité professionnelle (Cass. Civ. 2ème, 13 sept. 2018, n°17-26011) : « l'indemnisation de la perte de ses gains professionnels futurs sur la base d'une rente viagère d'une victime privée de toute activité professionnelle pour l'avenir fait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l'incidence professionnelle ».

La solution aurait-elle été différente si la victime avait été en mesure de pouvoir reprendre une activité professionnelle ?

Rien n’est moins sûr et c’est pourquoi, il convient de rester particulièrement attentif aux prochains arrêts rendus par la Haute Juridiction en la matière…

 

P.S. : tous les arrêts cités aux termes du présent article ont été publiés au Bulletin

Ecrit par
Maître Thomas Laurent