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La notion d’aléa : l’essence de l’opération d’assurance

Avant son abrogation par l’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, l’article 1964 du Code civil disposait que « le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l'une ou plusieurs d'entre elles, dépendent d'un événement incertain. Tels sont : le contrat d'assurance, le jeu et le pari, le contrat de rente viagère. »

On peut regretter l’abrogation de cette disposition dans la mesure où celle-ci avait le mérite de mentionner expressément le contrat d’assurance parmi les contrats dits aléatoires et le consacrer ainsi : l’opération d’assurance n’a vocation à couvrir qu’un risque aléatoire.

Ceci dit, l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 6 mai 2021 (Cass.Civ. 2ème, 6 mai 2021, n°19-25395) s’inscrit dans la droite lignée de ce principe structurant qui demeure ainsi.

En l’espèce, un particulier avait adhéré à un contrat d’assurance « garantie invalidité », couvrant notamment l’incapacité totale de travail, le 25 mai 2013 alors que ce dernier était en arrêt de travail depuis le 18 février 2013 – arrêt prolongé jusqu’au12 septembre 2014 – en raison d’une entorse du genou.

Les faits de l’espèce ne laissaient guère de doute sur l’absence d’aléa lors de la souscription du contrat…

La question se posait en revanche de la sanction applicable en pareil cas.

De manière constante, la Cour de cassation a considéré que l’absence d’aléa au moment de la conclusion du contrat d’assurance est sanctionnée par la nullité de celui-ci (voir par exemple : Cass.Civ. 2ème, 29 sept. 2016, n°15-24128).

Cette solution ne peut qu’être approuvée au regard des dispositions de l’article L.121-15 du Code des assurances certes applicable aux seules assurances de choses : « l'assurance est nulle si, au moment du contrat, la chose assurée a déjà péri ou ne peut plus être exposée aux risques. »

Toutefois, les juges peuvent manquer de clarté lorsqu’il s’agit de préciser les fondements de la nullité de l’assurance en raison de l’absence d’aléa de sorte que deux sanctions peuvent en réalité être envisagées en présence d’un contrat couvrant plusieurs risques : (i) absence de garantie du seul risque couvert par l’absence d’aléa ou (ii) nullité de l’intégralité du contrat d’assurance.

Par un arrêt en date du 4novembre 2003 (Cass.Civ. 1ère, 4 nov. 2003, n°01-14942), les juges de la première chambre civile ont considéré que l’absence d’aléa entraînait la nullité du contrat pour l’assureur qui s’en prévalait.

La rédaction choisie par la deuxième chambre civile dans son arrêt du 06 mai 2021 ne semble pas retenir la même solution (sans que cela puisse être affirmé avec certitude) dans la mesure où elle estime que « la garantie y afférente ne pouvait être retenue » car l’absence d’aléa ne concernait que « l’un des risques couverts parle contrat d’assurance ».

Un tel raisonnement extrapolé pourrait se comprendre puisque l’absence d’aléa n’entraîne pas par définition la disparition du risque de l’intégralité du contrat pour l’avenir notamment encas de survenance de nouveaux sinistres ayant une cause différente du sinistre antérieur à la souscription du contrat et entraînant la mobilisation potentielle d’autres garanties.

On précisera néanmoins que l’assureur n’avait pas sollicité la nullité du contrat si bien que, si cela avait le cas, la solution aurait pu être plus étendue, pour ne pas dire « excessive » …

Cette absence de demande de nullité pose une autre question non dénuée d’intérêt : le juge doit-il soulever d’office l’absence d’aléa ?

L’article 12 du Code de procédure civile dispose notamment que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. »

Sur ce fondement, la Cour de cassation, tant la première que la deuxième chambre, estime que le juge a l’obligation de relever d’office le moyen tiré de la nullité du contrat pour absence d’aléa, ce que confirme la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt en date du 6 mai 2021.

Avec une telle prise de position prétorienne, l’aléa est et reste l’essence du contrat d’assurance.

Peut-on appliquer une telle solution aux sinistres qui, bien que survenus après la conclusion du contrat d’assurance, sont dépourvus de caractère aléatoire ? Ceci est une autre histoire …

Ecrit par
Maître Xavier Laurent